Comment les pratiques culturales sélectionnent la flore des vignes ?
La pratique de l’enherbement est de plus en plus courante dans les parcelles viticoles, avec 85% du vignoble bordelais enherbé. Elle rend de nombreux services écosystémiques notamment en améliorant la fertilité des sols et en limitant l’utilisation d’herbicides. Les espèces floristiques des enherbements résultent d’un processus de sélection à travers des filtres environnementaux (les paysages, le climat, les sols) mais aussi et surtout anthropiques avec les pratiques culturales.
L’étude de la flore des vignes permet de comprendre l’impact des pratiques culturales sur la dynamique des cortèges floristiques mais également sur l’état qualitatif de leurs sols. L’objectif étant d’adapter aux mieux les pratiques de gestion des enherbements pour limiter la concurrence qu’ils peuvent induire et de conserver les espèces rares et emblématiques de notre région.
Des tontes fréquentes qui sélectionnent des espèces concurrentielles
Nos résultats mettent en évidence que les inter-rangs tondus plus de 5 fois par an possèdent un taux de vivaces plus élevé que ceux tondus seulement 0 à 3 fois par an. Ainsi des tontes fréquentes et rases sélectionnent des espèces vivaces (ex : Agrostis stolonifera).
Les vivaces sont des plantes pouvant vivre plusieurs années grâce à des organes souterrains chargés en réserve (racines, bulbes, rhizomes). Cependant, pour assurer le développement de leurs organes de survie, ces espèces puisent des ressources conséquentes dans le sol et sont pour la plupart concurrentielles.
La tonte détruit la partie aérienne de la plante et ne perturbe pas sa partie racinaire. En revanche, elle impacte de manière directe les espèces annuelles en les empêchant de parvenir jusqu’à la grenaison et donc de se reproduire.
Un travail du sol fréquent qui sélectionne des espèces annuelles et vivaces à rhizomes
Les résultats mettent en valeur qu’un inter-rang travaillé 0 à 3 fois par an possède une richesse spécifique significativement plus élevée qu’un inter-rang travaillé plus de 5 fois par an. Le taux d’espèces annuelles est également plus élevé lorsque le couvert végétal est travaillé plus fréquemment.
Si les plantes sont déjà aux stades de germination, le travail du sol superficiel va disperser les graines en surface et ainsi augmenter la concentration du stock semencier dans l’horizon de surface du sol. Le développement des plantes annuelles à cycle court est ainsi favorisé au fil des années par un travail du sol mécanique et fréquent.
Les vivaces se reproduisent par multiplication végétative grâce à des organes végétatifs. Certains de ces organes sont souterrains comme les rhizomes. Le travail du sol fragmente le système racinaire de ces espèces ce qui entraîne le développement de nouvelles pousses (ex : Chiendent rampant). Cette pratique favorise ainsi les vivaces à rhizomes grâce à leur capacité de régénération.
Un désherbage chimique provoquant des résistances
Les résultats des essais montrent que les rangs désherbés chimiquement possèdent une richesse spécifique 1,5 fois significativement plus faible que pour les rangs travaillés mécaniquement ou tondus. L’utilisation de désherbage chimique sélectionne des espèces annuelles à cycle court sur lesquelles l’efficacité des herbicides est limitée. Les herbicides perdent en performance et les espèces développent des résistances (ex : Erigeron canadensis, Geranium dissectum). Il est par la suite compliqué de se débarrasser de ces espèces problématiques.
Quelle gestion de la flore privilégier pour limiter sa concurrence ?
Les résultats d’un de nos projets montrent qu’après 6 ans de pratiques de gestion de plus en plus extensives dans les inter-rangs enherbés spontanément, le nombre d’espèces protégées a augmenté de 20%. Les pratiques de gestion plus extensives sélectionnent une flore moins concurrentielle envers la vigne notamment pour les ressources hydrominérales.
Un travail du sol mécanique occasionnel permet de rajeunir un couvert de plusieurs années et limite les espèces vivaces qui sont potentiellement plus concurrentielles. Lorsqu’il est superficiel, il limite également la destruction des espèces à bulbes qui sont pour la plupart des espèces rares (ex : Gagea villosa).
Les tontes moins fréquentes, moins rases et ciblées dans le temps permettent aux annuelles à cycle court et moins compétitives de se reproduire. Les tontes plus espacées dans le temps permettent aux annuelles de réaliser leur cycle en entier et ainsi de limiter leurs prélèvements de ressources dans le sol. Ces tontes extensives optimisent également l’apport de biomasse végétale ce qui augmente la séquestration de carbone dans les sols.
Mieux connaître c’est mieux gérer : l’importance du diagnostic
La mise en place d’une gestion durable au sein des enherbements passe incontestablement par une meilleure connaissance des adventices afin d’adapter les techniques d’entretiens en fonction de la flore observée. Une identification des espèces propres à chaque parcelle est donc nécessaire dans le but de limiter ou favoriser les différentes pratiques.
La Chambre d’Agriculture de la Gironde a élaboré le guide GARANCE pour déterminer rapidement les adventices de la Nouvelle-Aquitaine. Il aide également dans la décision de la gestion des enherbements naturels.
Une méthode pour évaluer les recouvrements : la méthode par quadrats
Cette méthode évalue le recouvrement des espèces floristiques identifiées dans chaque quadrat. L’évolution des recouvrements de chaque espèce est mise en lien avec les pratiques culturales.
Dispositif :
- surface d’échantillonnage = 1 m²/modalité
- répétition : 4 quadrats de 0,25m² (50cm/50cm) / modalité
- répétition des relevés = 2 fois / an
- noter le dispositif de positionnement des quadrats sur un plan et renouveler le suivi sur ces mêmes points chaque année
- grille d’interprétation du recouvrement via l’échelle de Braun-Blanquet
- notation du stade phénologique de chaque espèce
Une méthode pour évaluer la diversité floristique : la méthode par transect
Cette méthode permet d’identifier et suivre l’évolution des espèces floristiques présentes sur plusieurs modalités mises en place au sein de parcelles expérimentales.
Dispositif :
- surface d’échantillonnage = 150m² / parcelle à diviser selon les modalités d’entretien des sols
- le parcours à réaliser sur chaque modalité : 25m aller – 25m retour pour un total de 50 m. Recenser la flore adventice présente
- notation des espèces présentes seulement
- répétition des relevés = 2 fois / an (au printemps et au début d’été)
Pour aller plus loin
Reconnaître et caractériser la flore des vignes avec l’outil Garance